Le voyage d'EMO en 1211-1212.
Un voyage par la Maurienne en décembre 1211.
Un drame se déroule en septembre 1211, au bord de la mer du Nord. Les titulaires d'une petite église paroissiale à Wierum, tout près de Groningen, ont décidé de donner cette maison religieuse à une abbaye proche, qui comme un nouveau né n'a pas de nom, n'appartient à aucun un ordre monastique et semble être moribonde. Alors que cette situation nouvelle pourrait permettre de sauver cette abbaye, l'évêque de Munster, à la surprise générale, mais dépendant d'un puissant noble local en ce qui concerne son droit de patronage, annule la pieuse donation. Ceci en contradiction avec les lois frisonnes, contre toute logique et contre les pieuses intentions des donateurs.Le nouvel abbé-prévot de l'abbaye à ce moment là était un certain Emo de Huizinge. Fils d'une famille de petits nobles, très instruit, il avait fait ses études à Paris, Orléans et Oxford, de 1190 à 1198, il décide de ne pas se résigner à la décision de l'évêque et du tribunal épiscopal. Il fait appel, mais celui ci est rejeté. Alors, furieux et déterminé, il part pour Rome afin de réclamer justice au pape Innocent III. Il commence son voyage en passant par Prémontré où il reçoit le soutien de l'abbé Gervais l'Anglais, ainsi qu'une lettre de recommandation pour le pape. Cet abbé Gervais est connu pour sa correspondance. De Prémontré, la route conduit ensuite Emo à Troyes, Bar-sur-Seine, Lyon, Suse, et Pavie. Parti le 9 novembre de la Frise, avec un ami architecte nommé Henry, ils arrivent à Rome le 19 janvier 1212, après avoir passé le Mont-Cenis en hiver, juste après Noel 1211. A Rome, Emo restera cinquante jours à se battre contre la bureaucratie curiale. Finalement, Innocent III donnera son accord pour la donation de l'église de Wierum à la jeune abbaye, mais obligera Emo à verser une compensation financière à son noble adversaire. Toute sa vie Emo se demandera si cette clause ne constituait pas un péché de simonie, pèché fortement combattu par Innocent III. Le 11 mars, Emo entreprend son voyage retour pour la Frise, voyage qui sera mouvementé. Les conditions politiques en Europe et surtout en Italie, étaient très difficiles car les deux empreurs Otton IV et Frédérique II se combattaient, ainsi que leurs factions : les Guelfes et les Staufer. Des brigands-mercenaires, payés par Otton qui avaient pour ordre d'intercepter tout messager allant de Rome vers le Nord, arrêtent un groupe de marchands parmi lesquels se trouve Emo. Ils lui confisquent sa bulle papale, l'obligeant à retourner à Rome pour en avoir une copie. Le nouveau document établi, Emo et son compagnon repassent les Alpes en s'arrêtant chez le San Bernardino et arrivent à bon port la semaine du 6 juillet 1212.
Heureusement Emo, nous a laissé une description de son voyage audacieux dans la chronique de l'abbaye Bloemhof (Jardin des fleurs/Floridus hortus), nom pris par la jeune abbaye. Il commence à écrire sa chronique à partir de notices antérieures à 1219. Bien que son récit soit relativement bref, il nous a permis de reconstruire complètement le trajet suivi. La partie sur son passage en Savoie est brève, mais précise clairement qu'il "est entré en Maurienne et qu'il l'a parcourue jusqu'au Mont-Cenis, le bout de la vallée." Après Suse, il passe en Lombardie. Bien qu'il ne parle pas dans son récit des villes ni des lieux de mémoire, nous pouvons être sûr que sa visite à Saint-Jean-de-Maurienne lui a laissé de nombreux souvenirs. A cette époque, chaque homme pieux ou religieux de passage devait s'agenouiller en dévotion devant les doigts de saint Jean-Baptiste rapportés par sainte Thècle. Pour Emo, homme d'église, ce devait être une rencontre vraiment émouvante puisque quelques années auparavant il se trouvait à Saint-Martin-de-Groningen où se trouvait l'avant-bras gauche de saint Jean-Baptiste, don d'un marchand qui l'avait obtenu à Constantinople. Dans ces froides journées sombres avant Noël, dans ce paysage étrange et hostile pour un homme des plats pays, les doigts de saint-Jean sont apparus comme "un signe du ciel" favorable à la poursuite du voyage vers Rome. Les doigts de saint-Jean lui montraient la route et l'encourageaient à ne pas hésiter à traverser à pied le Mont-Cenis en plein hiver. Voyage dangereux et risqué que, seuls ceux qui étaient obligés de le faire, entreptrenaient.
Dans son livre Emo's Reis, Eenhistorich-culturele ontdekkingstocht door Europa in 1212 (Le voyage d'Emo. Une expédition de découverte historico-culturelle par l'Europe en 1212), le professeur Dr. Dick E.H. de Boer, professeur émérite d'Histoire médiévale à l'université de Groningen, présente une reconstruction jour par jour du trajet d'Emo, des conditions politiques et culturelles, de ses exploits et des éléments du patrimoine de cette époque qui font -après huit siècles- toujours parti de notre héritage. Malheureusement, le livre attend encore sa traduction en français, Le 13 février 2013, Prof. de Boer présentera a présenté à la Société d'Histoire et d'Archéologie de Maurienne une conférence au cours de laquelle il a exprimé sa fascination pour Emo et son incroyable quête en refaisant le voyage "dans les pas d'Emo."
Dick De Boer
Société d'Histoire et d'Archéologie de Maurienne
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