La Savoie et la littérature de guerre des XVIIIe et XIXe siècles

La Savoie et la littérature de guerre des XVIII^e et XIX^e siècles

   De la fin du XVII^e siècle au début du XX^e siècle, les militaires ont contribué d'une manière spécifique, par le repérage gèographique et le réalisme de leur style, à poser des regards de plus en plus attentifs et interrogateurs sur la Savoie et les savoyards. Ils ont forgé, en parrallèle de la littérature de voyage dite "apodamique", une nouvelle manière d'écrire sur la Savoie, mélange de réalisme pratique et de motifs littéraires compilés. Cette manière d'écrire se repère sur une très longue période.

   Il est symptomatique que cette littérature n'ait pas connu d'auteurs spécifiquement savoyards. Il a certes existé des littérateurs locaux à toutes les époques, mais les œuvres publiées correspondaient à des intérêts sociaux et politiques extérieurs, dans le contexte des guerres européennes. Les mémoires militaires ont contribué non seulement à enrichir la connaissance que l'on a alors des Alpes, mais aussi à la renouveler et à la transformer profondément.

   Plus que la littérature civile, dont on a déja noté la contribution à l'éloignement des descriptions stéréotypées de l'Antiquité pour l'invention des montagnes qui caractérisera le romantisme des Lumières, la littérature de guerre savoyarde semble s'être tôt affranchie du mythe alpestre, pour construire ses propres réalités. Son réalisme, bien que souvent subjectif, fait de la Savoie, sinon un territoire approprié, un territoire militaire par excellence. En ce sens, la littérature de guerre en Savoie serait le signe de l'achèvement de la frontière.

   On repère deux étapes  dans cette construction : un premier genre réaliste, construit sur le savoir géographique et pratique de l'étape, et le rôle politique assigné au duché; un second genre réaliste, qui est une compilation de motifs patriotiques et nationalistes. Et si l'on doit nécessairement objecter le bilan matériel "bénéfique" que les littérateurs de la République assignent à l'armée en Savoie, la littérature de guerre rappelle que le militaire a, plus qu'aménagé, forgé une pratique utilitaire et intime des Alpes. Avant l'avènement de la littérature de tourisme qui reprendra cette approche, cette littérature de guerre détachée du romantisme a bien fourni, au-delà des récits stéréotypés, une source sur la Savoie inédite.

Yannick Grand