Charles-Albert: un grand souverain pour un petit Etat.
Charles-Albert de Savoie-Carignan (1799-1849) eut une existence chaotique. Unique survivant de la branche cadette de la dynastie de Savoie, il grandit en exil à Paris et à Genève avec une mère veuve et indifférente et fut rappelé à Turin par le roi Victor-Emmanuel en quête d'héritier mâle. Actif et imbibé de l'héritage napoléonien, il se retrouve en 1821 à la tête symbolique d'un "motu" d'étudiants et de soldats libéraux qui provoque l'abdication du roi et sa nomination comme régent provisoire (en attendant le retour du nouveau roi légitime qui récuse bien sûr ses prétentions constitutionnelles). Déconfit, le jeune prince doit aller se faire pardonner en allant en 1823 défendre le très réactionnaire roi d'Espagne. Assagi, marié à la très pieuse Marie-Thérèse de Habsbourg Toscane, il doit attendre 1831 pour monter enfin sur le trône et révéler sa nouvelle allure autoritaire, cléricale et antifrançaise.
Certes le jeune et sportif souverain donne une nouvelle allure au régime du fait de sa passion pour l'histoire (restauration des monuments de Turin et de l'abbaye de Saint Michel de la Cluse) pour l'art (d'où la galeria sabauda et le style dit "albertin") ainsi que pour les sciences tout en renouvelant la législation du royaume (création d'un conseil d'Etat et d'un code civil à la Française), assoiffé de modernité (d'où la création d'Albertville, l'édification du pont de la Caille et des premières voies ferrées).
Mais cela ne lui suffit pas, dès les années quarante, il découvre l'italianité (le Risorgimento) et le projet d'une grande Italie qui l'amène peu à peu à se détacher de l'Autriche (sans rallier pour autant la France) et des réactionnaires et en 1848 au moment où il admet enfin une constitution (le "Statuto") il se lance dans la conquête (la libération) de l'Italie du nord mais sans allié, sans préparation avec une opinion publique italienne plus localiste que nationale, il échoue. Sans prudence mais avec obstination, il recommence son essai un an plus tard toujours en vain.
Fatigué, déçu, il abdique alors brusquement en laissant son trône à son fils Victor-Emmanuel qui restera très attaché au modèle libéral et au programme national. Isolé, il se retire au Portugal où, il meurt bientôt. Il avait beaucoup varié, beaucoup hésité, sans jamais se donner les moyens de sa politique mais rempli de la gloire d'avoir mis la Maison de Savoie à la tête du Risorgimento et de l'unité italienne. Les historiens n'ont cessé d'hésiter sur sa vraie nature, son isolement de mal aimé et de mal compris, sa tristesse et sa méllancolie romantique. Certes il a été dépassé par son fils et successeur mais par son ambition et ses tergiversations, il demeure une figure étrange et originale, un héros mais aussi un souverain terriblement humain.
André Palluel-Guillard
Société d'Histoire et d'Archéologie de Maurienne
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