« C’ÉTAIT AU TEMPS DU CHOLÉRA »
2 ème partie : LE DOCTEUR ANTOINE MOTTARD
ET LES ÉPIDÉMIES DE CHOLÉRA EN MAURIENNE
Enregistrement audio de la conférence SHAM (virtuelle) du 28 avril 2020 ( 27 mn 34 s) :
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Le choléra morbus fait sa première apparition en Europe en 1831. En 1834, on craint l’arrivée de la maladie en Savoie. La médecine de l’époque étant impuissante, on a recours à la foi. Les intercessions à saint Roch et à saint Sébastien, les saints anti pesteux, reprennent vie. Dans sa lettre pastorale du 1er septembre 1835, Mgr Alexis Billiet, évêque de Maurienne (1825-1840) écrit : Moïse a dit : si vous n’écoutez pas la voix de Dieu, toutes les malédictions tomberont sur vous ; malédictions sur vos villes et sur vos campagnes ; malédictions sur vos enfants, sur vos troupeaux et vos récoltes ; le Seigneur vous enverra une suite interminable de mauvais succès ; des sécheresses brûlantes, des froids excessifs ; la guerre, la pauvreté, la famine, un air pestilentiel, des maladies contagieuses. Et tout cela parce que vous n’avez pas écouté la voix du Seigneur, ni observé sa loi. (Deut. 28, 23) Dieu pour donner aux hommes un nouvel avertissement, envoie contre eux une maladie contagieuse, inconnue aux siècles passés. Les savants, dont le génie ne croyait plus rencontrer de limites, sont demeurés muets. […] On a souvent répété qu’il n’existe pas de remède spécifique contre le choléra ; cette assertion n’est pas entièrement exacte : il en existe un, mais il n’en existe qu’un seul, c’est de se réconcilier avec Dieu par le moyen d’une bonne confession, c’est de se mettre en état de grâce tandis qu’on le peut et de se soumettre ensuite à toutes les dispositions de la Providence. L’idée selon laquelle la transgression d’un seul attire une épidémie sur la multitude est très ancienne. Elle existe déjà dans la pièce de Sophocle Œdipe roi (425 av. J.-C.) Le rappel des risques pour les récoltes fait par l’évêque de Maurienne semble avoir été prémonitoire puisqu’une succession d’épidémies des végétaux commence en 1845 et se poursuit jusque vers 1856. La vigne est atteinte par l’Oïdium dès 1845, suivie de celle de la pomme de terre, en 1846 c’est la maladie des betteraves et enfin celle du blé qui dure jusqu’en 1851. Cette dernière ne semble pas avoir sévi en Savoie. Mgr Billiet ajoute à cette lettre pastorale des instructions à l’usage des curés, recteurs et vicaires du diocèse de Maurienne pour le cas où le choléra viendrait à envahir leurs paroisses. Il demande aux prêtres de ne pas quitter leurs paroisses en cas d’épidémie, de pratiquer la charité, de prendre les mêmes précautions que les médecins, de maintenir une grande propreté au dedans et au dehors de leurs maisons et d’avoir un minimum d’hygiène corporelle. En 1835, une épidémie débute à Gênes. Le docteur Antoine Mottard s’y rend, appelé par un de ses anciens professeurs de la Faculté de médecine de Turin, pour l’aider à soigner les malades du fléau, car les médecins locaux ont quitté la ville. En Savoie, la première épidémie date de 1854. La maladie est apportée par des gens qui fuient Marseille et viennent se réfugier en Savoie, apportant dans leurs vêtements la maladie en incubation. L’épidémie qui dure trois mois débute le 20 juillet, visitant soixante-treize communes situées dans six des huit provinces qui composent l’ancien duché de Savoie. |
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Elle est relativement bénigne puisqu’on ne retrouve que mille neuf cent vingt-cinq malades pour une population de cent vingt-deux mille trente-neuf personnes et six cent soixante-dix-huit décès. En Maurienne, trois communes voisines sont atteintes : Aiguebelle, Montgilbert et Randens. Le médecin d’Aiguebelle, le Dr Brunier, qui ne connaît pas le choléra et qui donc ne sait pas le traiter voit mourir ses compatriotes. Il s’adresse à l’intendant de la province de Maurienne, le marquis Delcarotto, qui, affolé, envoie sur place un ancien médecin de Saint-Jean-de-Maurienne, le Dr Dupraz. Ne connaissant pas non plus la maladie, il n’a guère plus de résultats. L’intendant informé que le Dr Mottard s’est rendu à Gènes en 1835 pour y traiter le choléra, lui demande de se rendre en basse Maurienne. Antoine Mottard accepte, mais en posant un certain nombre de conditions : d’abord que l’on mette à sa disposition trois religieuses ; ensuite que le syndic d’Aiguebelle soit prévenu immédiatement de son arrivée, qu’il soit informé que la maladie régnante dans sa commune est le choléra, maladie que le Dr Mottard connaît ; et enfin que dans cette affection tout retard entraînant forcément la mort des personnes qui en étaient atteintes, il ne voulait pas que le conseil communal fût appelé à délibérer sur les demandes de chaque moyen de secours et autres qu’il serait dans le cas de réclamer dans l’intérêt des malades. Il demande les pleins pouvoirs, ce qui lui est accordé. Le docteur Mottard part le jour même avec les religieuses, arrive à Aiguebelle où il visite immédiatement les malades qui sont au nombre de dix-sept, la plupart dans la phase la plus avancée de la maladie. Afin de leur apporter les soins les plus efficaces, il demande la création d’un hôpital, ce qui permet de les rassembler dans un seul lieu. Le soir même, un local est trouvé et douze malades y sont réunis et traités. Peu de temps après, l’épidémie arrive à Randens, le nouvel intendant, le comte de Faverges qui a remplacé le marquis Delcarrotto muté, accorde les mêmes facilités au Dr Mottard qui prend les mêmes dispositions qu’à Aiguebelle. Le 26 août suivant, en exécution de la circulaire de l’intendant de la province du 23 juillet relative à l’hygiène publique et pour éloigner autant que possible les causes de l’épidémie de choléra régnante, le conseil communal de Saint-Jean-de-Maurienne, délibère d’instituer une commission de huit membres, chargée de veiller à tout ce qui intéresse la santé publique et de provoquer toutes les réparations propres à améliorer la salubrité dans l’intérieur de la ville. Les docteurs Mottard et Chaix sont chargés d’indiquer les arbres voisins des habitations qu’ils estiment devoir être abattus et de surveiller qu’il n’y ait pas de fruits avariés ou en non-maturité parfaite qui soient introduits dans la ville. Fin août 1854, l’épidémie semble confinée aux trois paroisses de basse Maurienne. Le Dr Mottard commence dans le journal le Courrier des Alpes du 29 août, une campagne pour améliorer l’hygiène publique. Il est impossible de prévoir quand le choléra envahira nos provinces de Savoie. […] Néanmoins, la saison avancée dans laquelle nous sommes nous fait espérer que pour cette année, il est parvenu aux limites que rationnellement parlant, il ne saurait franchir. Mais qui peut nous assurer qu’après s’être assoupi pendant l’hiver, le choléra ne se réveillera pas menaçant au sortir de cette saison ? […] Dans cette hypothèse qui n’est pas dénuée de probabilité, ne conviendrait-il pas dès aujourd’hui de prendre toutes les mesures, toutes les précautions imaginables pour le priver de son élément propagateur, dès qu’il est bien reconnu que le choléra a choisi pour sa pâture de prédilection tout ce qui contribue à vicier l’air que l’on respire, et ce, dans toutes les localités sans exception. […] Ne devrions-nous pas procurer à nos populations un bon air, du soleil et la libre circulation du vent ?
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C’est peu, mais c’est presque tout. […] Il est encore temps. A l’ouvrage et déclarons une guerre active, instantanée, une guerre à outrance aux immondices, aux amas de fumiers et de substances en putréfaction, aux mauvais fruits, aux arbres qui entourent, enveloppent et couvrent de leur ombre funeste les habitations de nos campagnes. Agissons simultanément et sans relâche jusqu’à complet achèvement. Les populations y sont préparées. […] Dans un mois tout peut être fait : l’hiver terminera l’œuvre de désinfection et au printemps, il nous sera donné de respirer un air pur et sans miasmes. Si alors le choléra vient à passer sur nous, ne trouvant plus rien qui le retienne, il s’éloignera de nos vallées et de nos montagnes en épargnant des milliers de victimes que l’état actuel des choses lui assure inévitablement. Le 7 octobre suivant, on craint un retour de la maladie. L’évêque de Maurienne met "généreusement" à la disposition de l’intendance et de l’administration communale pour le cas où le choléra viendrait à se déclarer dans cette ville, la maison des missionnaires encore appelée couvent des capucins, mise en état de recevoir immédiatement les malades. Le vicaire général, recteur du séminaire fournit les lits et le linge nécessaire. Les sœurs de Saint-Joseph, fidèles à leur mission de sacrifice et de charité s’offrent pour apporter les soins aux malades. Dans sa lettre pastorale, Mgr Vibert, l’évêque de Maurienne (1840-1876), parle de la maladie et en profite pour donner quelques conseils : Les ravages que le choléra a exercés dans diverses contrées de l’Europe ont excité des craintes parmi un grand nombre d’entre vous. Ces craintes se sont accrues, depuis que l’on a appris que le terrible fléau a fait son apparition dans quelques lieux de la Savoie. Nous conservons encore l’espérance qu’il ne s’étendra pas jusqu’à notre diocèse ou que du moins il ne viendra pas au milieu de nous avec une grande intensité. Cependant Nous croyons mes très chers frères, devoir vous exhorter à prendre dans cette circonstance les précautions qu’indique la prudence chrétienne. […] Parmi les péchés qui fournissent plus spécialement un aliment à l’épidémie qui nous menace, l’Esprit Saint place celui de l’intempérance (manque de retenue, de modération). Garde-toi, dit-il dans le livre de l’Ecclésiastique, garde-toi, mon fils, d’être avide dans le repas, et de te charger de mets ; l’excès dans le manger cause des maladies, et conduit jusqu’aux plus cuisantes douleurs. Le vice de l’incontinence, le plus dégradant de tous, nous est aussi représenté comme le plus terrible dans ses effets. Les insomnies, les tortures et le choléra sont pour l’homme déréglé. Si donc vous voulez écarter de vous le fléau qui nous menace, vous devez éviter les excès et les désordres. Il faut que vous soyez sobres et tempérants et que vous résistiez à vos passions. […] Le second moyen d’éloigner le choléra est la tranquillité de l’esprit. Rien ne dispose plus à cette maladie qu’une crainte excessive de la maladie même. Le 10 octobre, on tente encore dans le Courrier des Alpes de rassurer les populations en affirmant que jusqu’à ce jour, il n’y a dans la ville de Saint-Jean-de-Maurienne, aucun cas de choléra, pas même de cholérine, ni d’autre maladie épidémique. Ces affirmations de la part des autorités ont pour but d’essayer d’éviter l’apparition de la peur. Lorsqu’elle devient trop forte, la plupart des gens veulent quitter le périmètre dangereux. Les riches et les notables peuvent le faire, pas les pauvres. Un malaise s’installe chez ces derniers, qui peut tourner à la colère, voire à l’émeute. On en arrive à ce double phénomène connu en période d’épidémie, les nantis craignent les classes basses ; les plus démunis ressentent un sentiment d’impuissance face à la maladie dont les riches savent se prémunir, ce qui suscite un réflexe de défense qui les amène à les désigner comme les responsables de l’épidémie (Gérard Fabre). |
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Le 13 octobre, le docteur Mottard publie un long article dans le Courrier des Alpes dans lequel il explique que le mal est arrivé dans nos vallées, qu’il ne pouvait en être autrement, car l’épidémie nous enveloppait de toutes parts et qu’il est donc de son devoir de citoyen et de médecin de donner quelques conseils utiles pour en prévenir les ravages ou du moins de les diminuer. Ses conseils s’adressent d’abord aux élus : prévoyons, prévoyons à tout par mesures provinciales, communales et domiciliaires. L’initiative générale, la surveillance et le contrôle appartiennent au conseil sanitaire et à son président. L’action est du ressort du conseil délégué de chaque commune ; mais il nous faut des syndics intelligents, pleins de bonne volonté et d’une grande énergie ? Au syndic appartiennent les améliorations communales et domiciliaires. S’il le veut, il peut faire de grands biens à ses administrés et c’est malheureusement ce qui ne se fait pas et si l’on veut s’en convaincre, que l’on parcoure les communes et l’on verra ce qui a été fait. Mais il explique pourquoi, la situation est mauvaise et il propose une solution. Les syndics sont souvent à plaindre. Il faut excuser leur apathie qui n’est souvent qu’apparente, car l’état précaire de leur position, leurs rapports de parenté, de voisinage, d’intérêts, etc., les empêche de faire tout le bien, qu’ils désireraient. Dans ce cas, c’est à l’autorité supérieure de prendre l’initiative et c’est bien le cas ou jamais de faire du bien aux populations, même malgré elles. Plus tard, elles en seront satisfaites. Il revient ensuite sur ce qui constitue depuis plusieurs années une grande partie de son combat : les problèmes d’air vicié. Il écrit : Il est incontestable que le choléra est épidémique et dès lors il nous est apporté par l’air ambiant. Si à cet air vicié, on ajoute encore pour augmenter sa viciation, il est également incontestable que cette maladie frappera d’abord ceux qui vivent sous cette double influence. C’est ce qui a été partout observé depuis que le choléra a envahi l’Europe. Il est donc de toute nécessité que l’on avise par tous les moyens possibles à procurer à nos populations de l’air, du soleil et la libre circulation du vent ». Deux autres mesures sont ensuite proposées : une à caractère hygiénique, agrandir les cimetières en prévision de la forte augmentation des décès et les sortir du centre des villages ; l’autre à caractère médical : la création d’hôpitaux pour cholériques dans chaque commune. Le médecin estime que ce n’est que par ces hôpitaux pourvus des remèdes de l’époque et de personnel dévoués aux malades que l’on peut éviter de perdre les trois quarts des cholériques. En effet, comment veut-on donner des secours utiles à un cholérique dans les communes qui ont des villages très éloignés et même dans les grands centres si le malade est obligé d’attendre une ou plusieurs heures que le médecin soit près de lui ? La maladie n’a-t-elle pas le temps de devenir incurable ? Et dans une épidémie de cette nature où les remèdes doivent être administrés avec promptitude, énergie, constance et intelligence, qui se chargera ou pourra se charger de le faire ? Le médecin ne pourra pas rester longtemps près d’un malade, il faudra qu’il coure à un autre, qu’il aille et vienne jour et nuit ; et quelle est la force humaine qui pourrait lutter des semaines entières contre une aussi rude besogne ? Pour exprimer ses opinions dans les journaux, le docteur Mottard utilise fréquemment des pseudonymes. Pour traiter du problème de l’eau et des fontaines de la ville de Saint-Jean-de-Maurienne, un Anglais, le docteur John Snow a identifié depuis peu et pour la première fois de manière rigoureuse, la source de contamination la plus fréquente : l’eau potable et les fontaines auxquelles s’approvisionnent les citadins, Antoine Mottard utilise un autre subterfuge qui consiste à faire écrire une lettre, par un habitant qui veut se plaindre de la qualité de l’eau délivrée dans la ville : J’ai lu de très utiles conseils donnés par ce modèle de citoyen zélé et de médecin dévoué, dont les talents et preuves de civisme sont assez connus pour que j’épargne ici à sa modestie les éloges qu’il mérite à si justes titres ; mais avec tout son bon vouloir, et ses bonnes intentions, M. Mottard a oublié : |
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Le choléra reste finalement confiné aux communes de basse Maurienne. Surtout à Randens où la maladie sévit assez fortement. Les chiffres officiels annoncent 1,37% de la population touchée par l’épidémie, 0,64% de décès soit environ six cent soixante personnes pour tout le département. Mais ces chiffres doivent être pris avec prudence, car de nombreux cas n’ont pas été recensés dans les campagnes. En 1860, la Savoie est rattachée à la France. Le 22 mai 1862, Antoine Mottard est nommé maire de Saint-Jean-de-Maurienne par décret impérial. Son installation est faite lors d’une séance du conseil municipal présidée par le préfet de la Savoie. Le représentant du gouvernement fait observer que la nomination de ce médecin habile et versé dans les connaissances hygiéniques ne saurait manquer d’être bien vue et appréciée, puisqu’elle est toute de circonstance et répond parfaitement aux besoins actuels de la ville, qui a tant à faire en ce moment au point de vue de l’assainissement et de l’hygiène. Le docteur Mottard quitte son poste de maire le 6 septembre 1865. Le 7 novembre 1865, le docteur Mottard reprend la plume pour écrire un article intitulé : Du choléra. Il explique qu’une nouvelle épidémie est en cours. Celle de 1831, avait été apportée du Delta du Gange par des troupes russes venues des confins de l’Inde pour réprimer la révolte polonaise ; la nouvelle a été importée par des pèlerins musulmans qui, venant des mêmes lieux, se sont rendus sans organisation ni surveillance et en caravanes à La Mecque. Partant du midi, elle est maintenant arrivée à Paris. La question qui se pose est de savoir si la Savoie va être contaminée ou pas ? Le docteur Mottard pense que l’arrivée de l’hiver devrait retarder la maladie jusqu’au printemps. Il estime opportun de se préparer efficacement à une nouvelle arrivée de la maladie. Devons-nous attendre avec impassibilité ? Non, nous devons nous préparer. Je n’entends pas indiquer toutes les mesures qu’il y aurait à prendre, ce serait inutile dès lors que le gouvernement vient de le faire par son organe officiel. Mais, je dirai qu’il est de ces choses que l’on peut faire impunément en hiver, je veux parler de l’enlèvement général et scrupuleux durant la saison froide de tout ce qui occasionnerait des miasmes pendant les chaleurs. […] Si contre notre attente le choléra venait s’abattre sur nos vallées, il ferait bien moins de victimes. Car, s’il est avéré qu’il va partout, chez le riche et chez le pauvre, il est bien connu que c’est ce dernier qu’il frappe avec plus d’intensité, parce qu’il est moins bien alimenté, moins propre et généralement moins sobre. […] Quand on est préparé, le choléra n’est pas aussi intense, ses cas ne sont pas aussi nombreux et il est de plus courte durée. Enfin, les malades étant en plus petit nombre reçoivent plus de soins et l’on compte un plus grand nombre de guérisons. |
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Le choléra ne sévira pas en Savoie cette année 1865, mais en 1867. L’épidémie vient d’Italie, de Borgone, commune de la province de Suse, apportée par des familles qui viennent travailler et se procurer en Savoie des moyens de subsistance et aussi par les nombreux bestiaux arrivés d’Italie. L’épidémie aurait commencé le 18 juillet, mais il semble que la population ait, au début, refusé l’évidence. Comme ailleurs, on ne voulait pas croire à l’apparition du choléra dont on parlait cependant tout bas. Plusieurs faisaient les incrédules, traitaient d’alarmistes ceux qui n’en doutaient pas, leur conseillaient de n’en rien dire par crainte de jeter l’épouvante. Et c’était un grand mal. Quelques-uns disant que le choléra existait, d’autres le niaient, c’est pourquoi le 2 août, le sous-préfet voulant de renseigner de manière positive, prie le docteur Mottard d’aller s’assurer par lui-même de l’état des choses. Il commence son inspection par la commune de Fourneaux, trois cent soixante-six habitants, où s’entassent plus de deux mille ouvriers piémontais, sans compter les femmes et les enfants, sur le chantier du tunnel des Alpes. Cette population refuse tout contact avec le médecin du chantier, disant qu’il les empoisonne. Depuis l’arrivée du choléra dans les années 1831-32, les agressions contre les médecins et leurs collaborateurs se multiplient. Ils sont souvent taxés d’imposture en raison de leur rhétorique savante qui dissimule mal leur impuissance face à cette maladie, dont ils ne comprennent pas le processus infectieux et cela en raison des limites des connaissances de l’époque. Cette situation est aggravée par les querelles internes à la profession, entre les « contagionnistes » qui croient aux miasmes et les « anticontagionnistes » qui estiment que les causes de la maladie sont liées aux mauvaises passions, au mauvais air ou à la mauvaise nourriture. (Gérard Fabre) Le docteur Mottard trouve au cabaret un malade convalescent. Il reconnaît être arrivé du Piémont depuis onze jours seulement, et qu’il a fui une commune contaminée. Le choléra est bien là. Il conseille au chef des travaux de laisser partir tous les ouvriers qui voudraient quitter le chantier pour diminuer la promiscuité et de ne plus recevoir de personnes en provenance d’Italie. Cette mesure est immédiatement adoptée par le préfet. Il prend ensuite contact avec deux de ses confrères du canton de Modane pour mettre en place des mesures de prévention et pour assurer le service en cas d’explosion de la maladie. Le docteur Mottard, sur ordre du sous-préfet, parcourt un maximum de communes de Maurienne, car la maladie progresse très vite. Partout il instaure des mesures d’hygiène, s’entretient avec ses confrères médecins, avec les curés et les maires. Il constate que certains malades guérissent après l’emploi de tel remède alors que d’autres guérissent après l’emploi de remèdes totalement opposés. Dès lors je me suis demandé s’il m’était permis à moi petit et obscur médecin d’une petite ville de sortir de l’ornière commune et de chercher un traitement nouveau, à mon usage seul ; c’est ce que j’ai fait et que j’aurais mieux expérimenté encore si j’avais pu appliquer dans un hôpital la méthode que je me suis faite. Notre ville en est bien pourvue d’un, mais je n’y puis mettre les pieds, en ayant été évincé pour des motifs politiques après vingt ans de service.
L’épidémie touchera six cent quatre-vingt-dix malades dans les vingt-huit communes de Maurienne atteintes par la maladie, pour une population de vingt-deux mille quatre cent trente-neuf habitants. Le docteur Mottard en tient une comptabilité précise : trois cent quatre-vingt-deux malades guérissent. Il y a trois cent huit décès, dont trente-six enfants, cent quarante-cinq femmes et deux cents hommes. À l’issue de l’épidémie, le docteur Mottard rédige un rapport de dix-neuf pages dans lesquelles il consigne toutes ses observations sur la maladie, les épidémies qu’il a vécues, ses expérimentations médicales, son plan de traitement avec la composition de sa pilule. Ce Rapport sur les épidémies de la Maurienne (Savoie). Choléra de 1867, par le docteur Mottard Antoine, médecin des épidémies, est envoyé au préfet de la Savoie le 26 février 1868 et à l’Académie de Médecine où il obtient une mention très honorable. Dans ce rapport, les considérations purement médicales cohabitent avec des observations plus empiriques. Partant du principe que la contagion se fait par l’air chargé de miasmes, il explique avoir remarqué que les oiseaux à l’exception de ceux qui ont encore une couvée avaient tous abandonné les communes où sévissait la maladie. La maladie ayant cessé à Villargondran quelques jours avant Saint-Jean, cette commune qui n’en est éloignée que d’environ trois kilomètres en ligne directe voyait son ciel sillonné par des myriades d’hirondelles tandis qu’on n’en voyait point à Saint-Jean où elles sont revenues quand le choléra l’a quitté. L’action du docteur Mottard lors de cette épidémie sera récompensée en janvier 1869 par une médaille d’argent décernée à la demande de l’Académie de Médecine par le ministre de l’Agriculture, du Commerce et des Travaux publics.
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Conclusion Le docteur Mottard, un médecin dévoué certes, un homme renseigné sur l’organisation sociale et politique de son temps qu’il souhaite faire évoluer, un homme conscient de ses faiblesses et de celles de la médecine à cette époque. Un de ces hommes de science du XIXe siècle qui s’intéressent à tout, qui sont capables de donner un avis sur tout. Alors qu’il visitait, comme médecin référent, les nombreux chantiers en cours en Maurienne pendant le temps des épidémies, le docteur Mottard en profite pour observer les effets néfastes du travail du dimanche, qui prive les travailleurs d’un repos indispensable à la santé de leur corps et de leur esprit. Il semblait intéressant de mettre ce médecin du XIXe siècle en valeur dans une situation bien spécifique, les épidémies de choléra. Pierre Geneletti |
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BIBLIOGRAPHIE
- Baehrel René, « La haine des classes en temps d’épidémie », In : Annales. Économies, sociétés, civilisations, 7e année, N° 3, 1952, p. 351-360. - Billiet Alexis, Mgr : Lettre pastorale du 1er septembre 1835. Suivie d’instructions à l’usage de MM. Les Curés, Recteurs et Vicaires du diocèse de Maurienne, pour le cas où le Cholera viendrait à envahir leurs paroisses, Chambéry, Imp. Puthod, 1835. - Dompnier Pierre : « Une ville et ses notables : Saint-Jean-de-Maurienne au XIX° siècle », Moutiers, Académie de la Val d’Isère, 1988, Mémoires et documents, Tome XVIII nouvelle série, 1990, Actes du XXXII° congrès des Sociétés Savantes de Savoie, p. 149-160. -Ehrard Jean, « Opinions médicales en France au XVIIIe siècle » : la peste et l’idée de contagion », In : Annales. Économies, sociétés, civilisations, 12e année, N° 1, 1957, p. 46-59. - Fabre Gérard, « Conflits d’imaginaires en temps d’épidémie », dans : Communications, 57, 1993. Peurs, p. 43-69. - Geneletti - Pierre, « Le Dr Antoine Mottard et les épidémies de choléra du XIX° siècle », Chambéry, Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Savoie, 2017, Mémoires, neuvième série, tome II, années 2015-2016, p. 93-120. - Gorre Géry : « Le docteur Antoine Mottard. Bienfaiteur de Saint-Jean-de-Maurienne et fondateur de la Société d’Histoire et d’Archéologie », Saint-Jean-de-Maurienne, Société d’Histoire et d’Archéologie de Maurienne, 1930, 2e série, Tome VII, 2e partie, p. 92-104. - Journal le Courrier des Alpes : 9 juin, 23 février, 29 avril, 25 septembre 1869. - Rostaing Emmanuel : « Les présidents de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Maurienne », Saint-Jean-de-Maurienne, Société d’Histoire et d’Archéologie de Maurienne, 1956, 2e série, Tome XIII, p. 26-28. -Savoyen L, Dr., De la météorologie dans ses rapports avec le choléra et l’épidémie de certains végétaux, Chambéry, Imprimerie Brachet, 1856, 60 p. - Truchet Saturnin : « La Société d’Histoire et d’Archéologie de Maurienne », Saint-Jean-de-Maurienne, Société d’Histoire et d’Archéologie de Maurienne, 1894, 2e série, Tome I, 1re partie, p. 45-54. |
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